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L’art contemporain marocain s'expose à l'IMA : zoom sur Mahi Binebine, créateur majeur (Télé


Télérama

Texte Yasmine Youssi Publié le le 01/12/2014

Peintre, sculpteur et écrivain, il oeuvre pour le développement de l'art dans son pays. Rencontre, à Marrakech, avec Mahi Binebine, présent dans l'exposition collective de l'IMA qui s'ouvre à Paris.

Son père, bouffon du roi, a fait hurler de rire Hassan II pendant des décennies. Officier de l'armée, Aziz, son frère aîné, a tenté de renverser celui-ci lors du coup d'Etat de 1971, avant d'être arrêté, puis maintenu dix-huit ans au secret au bagne de Tazmamart. Du premier, Mahi Binebine a gardé un humour corrosif et ce rire sonore, explosif, qui ponctue ses phrases et emporte ses interlocuteurs. Du second, un sens de la tragédie qui éclate dans ses romans comme dans ses tableaux, présentés à l'Institut du monde arabe à Paris à l'occasion d'une vivifiante exposition consacrée à l'art contemporain marocain. Des œuvres sur bois travaillées aux pigments et à la cire, peuplées de personnages identiques et énigmatiques tracés d'un fin trait noir. Presque toujours suspendus dans le vide, enfermés vivants dans un monde hors du monde, ils s'enchevêtrent, se tiennent chaud ou s'affrontent dans une fascinante chorégraphie.

C'est à Marrakech que nous rencontrons l'artiste, dans la douceur du mois de novembre, quand le froid mord à peine le crépuscule. Il y est né en 1959, y a grandi au sein d'une nombreuse fratrie, élevé par sa mère pendant que son père amusait le palais, reniant celui de ses fils qui s'y était attaqué. « Notre mère, par contre, continuait de servir chaque jour à Aziz absent sa part de déjeuner. » Etudes de mathématiques à Paris en 1980, et une rencontre décisive avec l'écrivain espagnol Agustín Gómez Arcos (1933-1998), qui le pousse à écrire et lui présente ses amis peintres. « Je les regardais des heures dans leur atelier et puis, un jour, je me suis lancé. » Avec succès.

Avant le 21 avril 2002 et la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle, le retour au pays n'était pas prévu. « Je l'ai vécu comme une blessure. Tant qu'à sup­porter les extrémistes, je préférais encore gérer les miens ! »Marrakech, littéralement « terre de Dieu » en berbère ancien, est alors à un tournant, dopée par le plan de Hassan II pour en faire la capitale du tourisme, et l'arrivée de ces Occidentaux qui réhabilitent la médina pour y vivre. Ne leur manque qu'une chose : un environnement ouvert aux arts.

Les artistes ne peuvent pas compter sur l'Etat

Comme toujours au Maroc, l'impulsion est venue d'en haut. De tout en haut. A l'orientalisme chéri par Hassan II, Mohammed VI, couronné en 1999, préfère l'art contemporain, acheté par brassées, dit-on. La cour est obligée de s'y mettre. Par mimétisme, la grande bourgeoisie suit, créant ainsi un marché dans lequel s'engouffrent de nouvelles galeries. A Casablanca essentiellement ; à Marrakech dans une moindre mesure. En 2006, Nathalie Locatelli y ouvre la Galerie 127, nichée dans un immeuble Art déco du centre, d'où elle met sur orbite des photographes désormais exposés en dehors du royaume, comme Carolle Benitah et ses tirages brodés.

Reste qu'au Maroc les artistes savent qu'ils doivent d'abord compter sur eux-mêmes, parfois sur le privé. Rarement sur l'Etat, même si Rabat vient de se ­doter d'un musée d'art contemporain. A Marrakech, Mahi Binebine et son copain Mohamed Mourabiti (également exposé à l'IMA) se mobilisent. Egalement natif de la Ville rouge, Mourabiti a travaillé dans l'électronique avant de tout abandonner pour la peinture. Et de s'installer sur les terres familiales de Tahannaout, à une vingtaine de kilomètres de la cité, en plein pays berbère. « A chaque fois qu'il vendait une toile, il construisait un mur », rit Binebine. Jusqu'à ériger Al Maqam, un espace entouré de bougainvilliers, piqué de bambous, de roses et de lianes de Floride, ouvert aux poètes, aux écrivains et aux artistes (Binebine y a d'ailleurs son atelier). « On ne fonctionne pas avec une programmation stricte mais dans un cadre de partage »,résume Mourabiti.

« Binebine et Mourabiti ont tenu leur structure à bout de bras avec peu de moyens,confie le Français Julien Amicel. Sans ce socle, rien n'aurait été possible. » Lui est arrivé au Maroc en 2010 pour prendre en charge un projet tout aussi fou. Celui d'un ex-trader, Redha Moali, décidé à faire de la culture un levier d'émancipation sociale. Aussi prélève-t-il sur chaque nuitée du Fellah, hôtel design et écolo qu'il a construit en dehors de la ville, un pourcentage destiné au fonctionnement de Dar al-Ma'mûn, sa fondation. Un espace étonnant qui accueille en résidence des artistes du monde entier, un pôle de recherche en traduction littéraire, une bibliothèque mise à la disposition des enfants des villages alentour, où sont aussi organisées des conférences.

L'éducation, une priorité

Au fil des années, toute la ville (à l'exception de la municipalité) semble s'être piquée d'art. Marrakech a désormais sa biennale. Des lieux alternatifs voient le jour, comme Le 18. Les palaces comme le Palais Namaskar ou le Es Saadi, dont les murs accueillent l'imposante collection d'art contemporain marocain de sa propriétaire, offrent des expositions de qualité muséale. Le groupe immobilier Alliances a fait du golf de son hôtel Al Maaden un impressionnant parc de sculptures, parmi lesquelles un totem de Binebine. A travers sa fondation, le même groupe ouvrira un musée d'art contemporain africain en 2016.

Mais, ici, chacun sait que cette effervescence retombera si l'éducation ne suit pas. Or c'est le point faible du Maroc. Mahi Binebine l'a bien compris. Le mois dernier, il a inauguré, avec le réalisateur Nabil Ayouch, un centre culturel pour enfants au cœur de Sidi Moumen, à Casablanca. C'est de ce quartier de bidonvilles que venaient les terroristes des attentats de 2003. Cela lui avait alors inspiré un roman magnifique, Les Etoiles de Sidi Moumen, adapté à l'écran par Ayouch sous le titre Les Chevaux de Dieu. En deux jours, plus de mille enfants s'y sont précipités.

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