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De grâce du bon sens! (Die Zeit - 2007)


De grâce, du bon sens !

Par Mahi BineBine

(Traduction en Allemand disponible ici: http://www.zeit.de/2007/24/G8-Binebine/komplettansicht)

Depuis 1975, année de la création à Rambouillet du G6, à l’initiative du Président français V. Giscard d’Estaing – dont la présidence ne s’illustra guère par une nouvelle approche dans les rapports avec le Maghreb et l’Afrique – tous ces sommets informels se sont tenus dans les métropoles industrialisées du Nord : France, Etats-Unis, Grande Bretagne, Russie, Allemagne, Japon, Italie, Canada.

Jamais au Sud.

Dans ce club très particulier où les dirigeants des pays les plus riches se rencontrent dans une « ambiance décontractée » pour « discuter des affaires du monde » sur fond de libéralisme, de grandes puissances émergentes – la Chine, l’Inde, le Brésil – sont absents.

Quant aux autres, qu’ils soient Marocains, Algériens, Maliens, Sénégalais, Libériens ou Ghanéens, s’ils sont un jour invités à la table des maîtres, ils s’assiéront sur un strapontin et auront – au mieux – droit à quelques miettes.

Parce qu’il a la prétention inavouée de diriger le monde et d’imposer à la planète des choix sur lesquels les peuples ne sont jamais consultés, le G8 ne s’embarrasse pas des contingences démocratiques.

Même si les pays du G8 produisent les deux tiers des richesses mondiales, cela ne donne aucun droit moral à « décider » du devenir de milliards d’êtres humains dont le salut, homme ou femme, passe d’abord par la reconnaissance d’une pleine citoyenneté. C'est-à-dire par l’instauration de relations et de règles d’égalité dont le G8 se soucie peu.

Que de promesses non tenue ! Le G8 s’était pourtant engagé à doubler son aide à l’Afrique d’ici 2010, mais les chiffres publiés le mois dernier par l’OCDE prouvent qu’aucun pas n’a été fait en ce sens depuis deux ans.

En revanche, on a imposé des privatisations massives, des politiques d’astreinte budgétaire, la destruction des protections économiques et sociales, une production basée sur le « tout à l’exportation » au détriment des cultures vivrières.

La dette des pays en voie de développement est à son plus haut niveau : 2 800 milliards de dollars.

Il n’est donc pas étonnant que dans les pays du « Nord », manifestent contre ces sommets annuels tous ceux qui s’opposent aux dégâts humains, environnementaux, économiques et culturels de la mondialisation ultralibérale et qui voient dans la marchandisation absolue de toutes les activités un danger pour l’homme lui-même.

Mais parlons du Maghreb.

Le G8 a tendance à laisser le rapport avec le Maghreb à l'Union Européenne, laquelle est loin de résoudre la kyrielle de difficultés auxquelles est confrontée cette partie du monde : le manque d'opportunité dans les pays de l'Afrique du Nord engendre des problèmes extrêmement sensibles. L’immigration clandestine, par exemple, dont la lutte ne devrait pas se faire sur les frontières, mais dans les lieux et les pensées des immigrants clandestins ; elle devrait s’opérer dans le cadre d’une coopération basée sur un dialogue équilibré, et non pas reposer sur un monologue du Nord. Il faudrait une politique et non une police d’immigration. Le Sud ne doit pas être contraint à la mendicité. La misère, nous le savons bien, est le terreau de tous les fanatismes. Cependant, le terrorisme n’est pas une fatalité. Ni un typhon comme il s’en produit ici ou là et avec lequel on apprend à vivre tout en minimisant les dégâts. Venez faire un tour dans les bidonvilles autour de nos métropoles, vous y verrez courir pieds nus dans la poussière les futures bombes humaines. Ce n’est pas en instaurant le chaos en Irak pour une durée que seul Dieu et ceux qui guerroient en son nom connaissent, qu’on arrêtera ce fléau. Dépensez moins dans les missiles, et davantage dans l’éducation et la nourriture. Autorisez les médicaments génériques pour les populations que le Sida dévore. Cessez d’incriminer l’islam comme une idéologie de combat car cela ne sert qu’à ajouter de l’eau au moulin des obscurantistes.

Chanter, tambours battant, la démocratie et les droits de l’homme tout en soutenant, par intérêt, les régimes négateurs des libertés élémentaires ; employer les actions humanitaires (ce service après-vente des marchands d’armes, dixit le penseur Mohamed Arkoun) dans les régions en conflit et, parallèlement, vendre furtivement les armes de destruction (elles sont toutes massives, comme nous l’a montré le Rwanda ) ; user du « droit » de veto aux Nations Unies comme un droit divin des monarchies d’antan ou un droit de cuissage des seigneurs féodaux. Voilà qui nous met, nous autres démocrates africains, arabes et musulmans épris de votre liberté, en bien mauvaise posture pour défendre cette même liberté.

Il n’y a pas de solutions faciles ou rapides, mais de grâce, du bon sens ! Que les pays riches ouvrent davantage leurs marchés, leurs frontières et leur cœur aux pays maghrébins et qu’ils y investissent en pensant que, sur terre, l’homme est le capital le plus précieux.

Le montagnard de l’Atlas comme le plasticien de Marrakech, aimerait penser que le sommet du G8 n’est pas un non événement.

Mahi Binebine

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