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"Le Fou du roi" : le roman qui raconte la cour d'Hassan II


Le talentueux peintre marocain Mahi Binebine raconte, dans "le Fou du roi", la vie de son père à la cour d’Hassan II. Il figure sur la liste du prix Renaudot.

C’est un conte des mille et une nuits qui évoque la douce torpeur de soirées alanguies bercées par le poète de Marrakech, Ben Brahim et la dureté des destins sous la monarchie absolue. Son décor? Les boudoirs des palais marocains du roi Hassan II, le père de Mohamed VI, où les médisances se chuchotent et les destins se brisent au gré des sautes d’humeurs du monarque. Son histoire? Celle du père de l’auteur, un conteur préposé aux fous rires royaux, Shéhérazade de ses nuits sans sommeil.

On rit beaucoup dans ce livre, des astuces et des facéties du fou, mais le conte est aussi une tragédie. Car le fils du bouffon royal est un de ces cadets qui a participé à la tentative de coup d’Etat contre le roi à Skhirat le 10 juillet 1971 et qui fit plus de cent morts. Jour funeste où le père et le fils sont devenus ennemis mortels et intimes. Destin shakespearien que celui de ce Falstaff condamné à faire rire à perpétuité pendant que son fils expie son crime à perpétuité. Le père, enfermé dans l’alcôve des palais, le fils, dans un des bagnes à la réputation si terrible que, du temps d'Hassan II, on n’osait prononcer son nom: Tazmamart. Cette Bastille du désert devenue le symbole de l’arbitraire et de la brutalité d’un monarque absolu...

Quel dilemme, quelles affres! On imagine déjà les tirades cornéliennes, les déchirements raciniens. Mais non, finalement, puisque Mahi Binebine a réussi le tour de force d’éviter le roman psychologique, les remords, les regrets. Les tourments de cette famille détruite, il les évacue avec pudeur en quelques lignes. La mère dont la souffrance est un reproche vivant adressé au père, continue à apporter chaque semaine à son fils absent de la nourriture et du linge propre, dans une prison où elle sait qu’il ne se trouve plus depuis longtemps.

Libre d'être esclave

Pour éviter le jugement, dans ce roman qui est aussi celui de la réconciliation avec ce père aujourd’hui disparu, Binebine a écrit à la première personne. Il a endossé la livrée de cet esclave doré du palais vivant à huis clos avec les bouffons de sa majesté et dont le destin ressemble à celui des courtisanes du harem dans lequel il s’introduit un soir par erreur. L’a t-il méprisé, détesté? On ne le saura pas.

Aujourd’hui, il a pardonné à celui qui était condamné à vie à faire rire le roi, même quand il avait le cœur à pleurer ou à haïr. Mais c’est librement que le «fqih», le savant, avait choisi de se mettre au service du roi. On peut être libre d’être esclave, et deux fois le fou a affirmé sa servitude volontaire: lorsqu’il entre au service d'Hassan II, lorsqu’il y reste après le crime de son fils et interdit qu’on prononce son nom en sa présence.

Se dessine aussi en creux, dans ce très beau conte aussi tendre qu’une corne de gazelle, le portrait d'Hassan II. Un roi redouté, dont l’entourage appréhende les colères qui font trembler le murs du palais. «Le fou du roi» est aussi un livre sur la monarchie absolue:

L’intérêt général pèse si peu devant l’humeur contrariée du roi. Les effets d’une simple insomnie peuvent conduire à la paralysie du pays pendant des mois…»

Roman du pardon

Il n’y a pas de mépris, mais pas de complaisance non plus de la part de Binebine vis-à-vis de son père qui a érigé l’obséquiosité en art de vivre. Les pages sur la disgrâce, ce châtiment des courtisans, sont terribles:

Le malheureux subit un lynchage sournois, d’abord de la part du monarque, auteur direct du châtiment, mais surtout de ses propres confrères, les supposés amis et complices; infâmes personnages, qui, les ongles plantés aux accoudoirs de leurs fauteuils, se réjouissent de ne pas être la victime qu’ils s’évertuent à crucifier, tandis qu’ils se répandent en invectives et jouent des coudes pour mieux l’écarter du cercle d’or.»

Quant à Hassan II, dans ce roman qui est donc celui du pardon, c’est l’amour de son fou, à la veille de sa mort, qui lui confère in extremis son humanité:

Tout paraissait normal, mais rien ne l’est, quand ses griffes réduites à des débris de bois inutiles, ne font plus trembler personne…
Tout paraissait normal mais moi je ressentais comme une boule de chagrin… et je priai Dieu de délivrer mon Seigneur de son mal et de me l’infliger à sa place…
Tout paraissait normal, mais rien ne l’était pour votre serviteur. Moi Mohamed, écume de la lie et du moisi de Marrakech… Moi le rescapé des troisièmes sous-sols de l’humaine condition… j’étais là, ruminant la terrible sentence du médecin : plus que deux ou trois jours et nous serons tous orphelins.»

Le roi est finalement lui aussi, comme les autres personnages de ce récit bouleversant, le fou d’un destin qui le dépasse.

Sara Daniel

Le Fou du roi,
par Mahi Binebine,

Stock, 176 p., 18 euros

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